Page 5 - Mouskhely papers - Face of Federalism
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Déjà, l’aggravation sans cesse croissante de la situation économique en Europe, la prise
du pouvoir par le parti communiste dans plusieurs États de l’Est européen, la quasi-certitude
de la division politique de l’Allemagne en deux, la présence de l’U.R.S.S. à Berlin avaient
fait comprendre aux dirigeants politiques de l’Europe occidentale l’impérieuse nécessité de
s’unir. Ils avaient même entrepris une action dans ce sens.
Tandis que la Belgique, la Hollande, le Luxembourg, déjà liés par des intérêts économiques
communs, constituaient en 1947 l’Union douanière du Benelux, la France et l’Italie, de leur
côté, signaient à Turin, en mars 1948, un protocole posant le principe d’une union doua-
nière. À la même date, le gouvernement français proposait aux pays du Benelux l’entrée de
la France dans leur union. Sur un plan plus vaste encore, grâce à l’initiative américaine (Plan
Marshall), seize États d’Europe s’engageaient dans la voie de la coopération économique.
Sur le terrain purement politique, les gouvernements de l’Europe occidentale semblent
hésiter encore à établir une collaboration aussi étroite. Les divergences de vues sur l’orga-
nisation future de l’Allemagne, la situation particulière de certains pays d’Europe, l’attache-
ment de quelques autres aux liens qui les unissent à des communautés extra-européennes,
l’attitude de réserve du gouvernement travailliste de Londres, telles sont les principales
causes de cette hésitation. Malgré tout, l’imminence et la gravité d’un danger commun ont
amené plusieurs d’entre eux à prévoir une coordination de leur politique étrangère et une
coopération militaire et financière. Les Accords de Bruxelles du 18 mars 1948 entre l’Angle-
terre, la France et le Benelux en sont la première manifestation collective.
De plus, le 18 août 1948, le Gouvernement français, répondant à l’appel du Congrès de
la Haye, a pris l’initiative de proposer la réunion d’une conférence des signataires de ces ac-
cords, chargée de préparer la création d’une assemblée européenne. À la suite de cette pro-
position et après de laborieuses négociations, la Conférence des Cinq a décidé, le 29 janvier
1949, la création d’un Conseil de l’Europe, composé d’un Comité ministériel et d’une Assem-
blée consultative. Les membres de cette Assemblée seront désignés librement par chaque
pays. Quelques semaines plus tard, sur la proposition de la Grande-Bretagne, le Comité des
Cinq a choisi Strasbourg comme siège des nouveaux organismes.
Ainsi, sous la pression des événements, l’Union européenne se forme sous nos yeux, petit
à petit, d’une façon empirique en quelque sorte. L’opinion générale, partagée même par les
fédéralistes, estime cependant qu’il est encore trop tôt pour doter l’Europe d’une constitu-
tion et d’un gouvernement fédéral. La formation immédiate d’une fédération européenne lui
paraît prématurée et vouée à l’échec. Les gouvernements nationaux, jalousement attachés
à leurs droits et privilèges séculaires, ne seraient pas prêts à les sacrifier sur l’autel du fédé-
ralisme. Une action énergique prolongée, prétend-elle, est indispensable pour les décider à
ce sacrifice.
Une action prolongée ! Faudra-t-il attendre plusieurs années pour que l’opinion publique
soit entièrement conquise et dicte elle-même aux dirigeants politiques de l’Europe les re-
noncements et les abandons nécessaires ? Comme si l’Europe, menacée d’être politique-
ment asservie et économiquement étouffée, pouvait attendre ! Si l’on veut sauver l’Europe,
ses libertés et sa civilisation, une action immédiate s’impose. Il n’est pas chimérique de l’en-
treprendre. Au risque d’effrayer les timides et de faire sourire les sceptiques, nous n’hésitons
pas à affirmer qu’une fédération européenne est dès à présent réalisable.
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